Association Nationale des Centres d'IVG et de Contraception

Presse


Freins psychologiques à la mise en place d’une contraception chez l’adolescent

Auteur : Florence BARUCH
Psychologue Clinicienne
Conseillère conjugale et familiale
PMI   - CPEF   Gentilly et Cachan
Val de Marne

Introduction
Compte tenu du sujet, je vous propose de revisiter la problématique adolescente dans un premier temps puis il sera question au travers d’exemples cliniques de comprendre ce qu’il en est du rapport au corps, au corps du même, de l’autre et pour cela, je dirai quelques mots des rencontres avec les adolescents qui nous renseignent et nous rappellent parfois leurs rapports à ce corps si étrange à la puberté ; ils quitteront peu à peu, au fur et à mesure de leur maturation psychique au cours de l’adolescence, leurs préoccupations corporelles et accéderont à la pensée sur la nouvelle fonction qu’est la reproduction .
Vous comprenez déjà que les freins à la mise en place d’une contraception à l’adolescence sont variés en fonction du moment de l’adolescence et de l’adolescente elle-même .
Les freins viennent contre la butée générationnelle quand il s’agit aussi de se confronter à la différence des sexes et des générations. L’on verra ensemble, à l’aide de vignettes cliniques, combien il peut être difficile et périlleux d’aborder la rivalité oedipienne réactualisée par la génitalité. Cela se traduit par cette impossibilité de s’éprouver mère ou père potentiel face à la mère ou au père réel et donc la contraception n’a pas lieu d’être puisque le sujet adolescent alors, ne risque pas dans la réalité une grossesse, n’étant pas prêt psychiquement à l’envisager...
 
L’adolescence
A - La première période ou la somatisation
Il n’y a pas d’adolescence sans puberté, sans ces transformations corporelles. La scène pubertaire est l’objet d’une conviction historique forte comme si elle reflétait les mouvements pulsionnels de chacun des participants : les parents et l’enfant en passe de quitter cet état. l’infantile n’y est là, ni oublié, ni remémoré mais répété. Le pubertaire est un état nécessaire mais non suffisant pour entrer en adolescence. Le jeune adolescent est mobilisé par une pression pulsionnelle interactive qui l’anime et risque de déborder comme le lait sur le feu. Il s’agira de dompter cette pulsion, selon l’expression de Freud par l’accès aux représentations et à la symbolisation. Se reconnaître soi-même et être reconnu par les autres est l’enjeu du jeune pubère . Première difficulté dans la mesure où les parents sont pris dans le filet de cette problématique : ils sont en train de devoir faire le deuil de l’enfant idéal et d’accepter l’adolescent qui lui fait suite. L’adolescent est l’acteur principal de cette scène où la rivalité oedipienne est revisitée. Ainsi mal placé, interdit de séjour, l’enfant pubère devra découvrir en lui et en l’environnement, une sortie de cette impasse (comme il l’a fait d’ailleurs dans la toute petite enfance où constatant qu’il n’était pas tout pour la mère, et que celle-ci désirait ailleurs, il est tourné vers le monde extérieur qu’il a investi).
Il est question d’un temps de ré-flexion, de retour sur soi pour aller ensuite à la rencontre de l’autre. La scène pubertaire est semblable à l’univers des astres soumis à deux forces contradictoires : l’une réfractaire gravitant à perpétuité autour des objets infantiles et l’autre dilatatoire vers des investissements extérieurs.
B - La désomatisation ou recherche de l’autre, semblable puis différent .
L’adolescent(e) repère sur son propre corps ,les objets partiels, attributs du parent du même sexe (seins, pilosité, voix etc...). Débordé par son propre corps, il revendique sa croissance comme il peut, par l’appropriation de vêtements auxquels il tient plus que tout, de coiffures et autres sculptures capillaires. Il est question d’être unique, d’être reconnu par ses pairs dans l’ordre du même. La recherche de l’autre se fait selon la problématique oedipienne qui est transférée (Gutton) . Les identifications parentales se révèlent insuffisantes car il y a un deuil des imagos parentaux et un dépassement du lien infantile - les parents font un travail de deuil quant à l’enfant idéal qu’il est difficile de perdre .Il faut dépasser les identifications anciennes , celles-ci -mêmes constituent la personne, d’où ce sentiment d’étrangeté, si bien décrit par E. Kestemberg en 1963 puis en 1980, qu’ont parfois les adolescents. Il y a nécessité d’une nouvelle construction individuelle.
C - De la phase amoureuse pubertaire à la phase amoureuse adolescente ou l’hésitation amoureuse, étayage par l’homosexualité à travers ce nouveau corps.
Le désir de l’adolescent est hésitant :
tourné vers l’autre sexe, il rencontre les interdits oedipiens 
adressé au semblable, il s’oriente vers un lien plus fraternel que sexuel.
La relation sexuelle est une affaire de langage avant d’être une histoire de corps, l’enfant prépubère le sait et ce qui le gère, est le secret et le malentendu. Mais comment dépasser le corps tant encombrant psychologiquement ?
Le médical qui pose la puberté comme possibilité de reproduction n’est pas la définition des adolescents. Il existe une discontinuité, une rupture entre la précocité du développement pubertaire et la lente maturation psychique qui l’accompagne. 
D - Qu’en est-il pour la fille, de l’accès à la maternité potentielle.
Comme l’écrit M-M Chatel dans ’’Malaise dans la procréation ’’,une fille ne peut devenir mère que lorsqu’elle en sera passée par ce ravage à savoir qu’elle aura abandonné l’espoir d’obtenir de sa mère l’autorisation d’enfanter. La grossesse sera, alors, une source d’alliance dans une filiation transgénérationnelle.
L’adolescente sans contraception et sans désomatisation, encore dans son corps, accomplit un désir autre que celui d’un enfant. Elle opère un détachement qui implique qu’elle se dégage de sa mère. Et cela au prix parfois, d’un enfant qui ne se fera pas. Enfant auquel elle s’identifie et qui vient signer qu’elle n’est plus une enfant devant témoin.
L’IVG   de l’adolescente s’adresse à la mère, dit M-M Chatel. Les adolescentes parlent peu de leur partenaire. Seules, les mères sont mises au courant, les pères en sont exclus...Que disent - elles à leurs mères ?
L’IVG   est une crise dans la crise d’adolescence, une brèche qui fait irruption, un événement de la réalité .Une grossesse est un signe, un passage à l’acte pour pouvoir passer au penser quant à l’adolescence et son cortège de détachements quant à l’infantile.
 
II- La contraception
A - Le rapport au corps

Ce corps étrange, nouveau, plein de pulsions, d’émotions : comment comprendre qu’il est doué d’une nouvelle fonction que possèdent les parents ? Comment imaginer, supporter qu’il y a du même avec son père pour le garçon et idem pour la fille avec sa mère ?
Cf Valérie P ou la recherche de ses origines : A 17 ans , elle consulte accompagnée de sa mère en CPEF  . Valérie est adressée par un gynécologue pour l’entretien pré-IVG  . Elle va subir un avortement. La question, au cours de cet entretien particulier, est de tenter de repérer pourquoi il y a eu fécondation alors que ce n’est pas le moment ; ce que j’explique systématiquement afin de donner, outre le cadre législatif dans lequel se situe cet entretien, toute la valeur quant au fait de proposer un sens ou au moins une des voies de sens sur un acte qui semble en être dénué, tout au plus un ’’accident’’ qu’il soit de préservatif ou de pilule...
Et madame P de raconter sa vie en disant qu’il faut absolument que Valérie avorte car si elle s’était faite avorter, elle aurait pu poursuivre ses études qu’elle a dues interrompre car elle s’est occupée de Valérie, et Valérie d’éclater en sanglots... Cette dernière ne connaissait pas ses origines, si ce n’est qu’elle était née de père inconnu et pour cause, puisque Mme P avait voulu poursuivre sa grossesse alors que son petit ami, se trouvant trop jeune, souhaitait qu’elle avorte, quitte à faire un bébé plus tard puisqu’ils avaient le projet de vivre ensemble. C’est ainsi que Valérie découvrit ses origines en suivant presque le même chemin que sa mère...Effraction, intrusion, collage et projections, contraceptions impossibles parce que impensables encore.

B - La prescription et la place de l’institution -médecin, CPEF   ,etc...
Il faut passer par un adulte, des adultes qui sont éventuellement comme les parents. 
Il faut dire quelque chose de son identité, se présenter et formuler sa demande. C’est si difficile parfois ! Et pourtant, quand les règles du CPEF   sont dites, notamment quant au secret possible vis à vis des parents, de l’entourage, c’est comme si un espace s’ouvrait, contenu par des limites où la parole peut se délier, où la pensée peut émerger et les émotions se dire.
Cf la maladie : ’’les préliminaires...’’ : deux jeunes filles viennent un jour au CPEF   pour prendre des renseignements sur une maladie qu’a sans doute le petit copain de l’une d’entre elles. Il lui a dit qu’il avait du mal avec les préliminaires. De fil en aiguille, la jeune fille avait eu quelques émois de proximité avec son copain , la rosée du désir était là et peut-être une belle glaire cervicale... Elle est repartie avec une contraception d’urgence...
 
III- Quelles contraceptions ?
A - Le préservatif

Parler, se parler, s’écouter, écouter l’autre, se regarder, se toucher, se connaître, se reconnaître au travers le désir, l’état amoureux, cet état fusionnel où plus rien existe que cette fusion où l’on ne fait plus qu’un. Comment alors se savoir deux, se respecter, entendre l’identité de chacun à travers le prisme des envies, du désir, du refus parfois, etc... Et voilà le préservatif ! Barrière, protection, tout contre soi pour ne pas fusionner et chacun reste avec ses humeurs...
Vous percevez déjà, combien il peut être difficile pour un (e) jeune adolescent (e) d’envisager de se protéger, comme on dit, contre son amour qui n’est autre au début, si le jeune est en phase pubertaire, que de l’ordre du même qui lui sert à se reconnaître physiquement et psychiquement.
Et pourtant , c’est le seul moyen paradoxalement qui permet à l’adolescent(e) de se familiariser avec son corps, d’appréhender le corps de l’autre par ses élans du coeur. 
Mais quand l’envisager, en avoir, l’utiliser ? Cf ’’La rosée du désir ’’.

B - la contraception d’urgence
C’est être conscient qu’il y a un lien entre le physiologique et le lien amoureux. C’est faire l’articulation entre le pubertaire, et le maternel...C’est autrement dit, être, sujet féminin, se reconnaître comme tel pour entamer cette démarche que de penser qu’un risque de grossesse a été pris, assorti éventuellement d’un risque de MST et aller la chercher cette contraception d’urgence, avec son cortège de mots à dire à un inconnu etc...

C - La pilule
Le passage à la pilule nécessite une réflexion. On est loin des années avant SIDA où prendre la pilule représentait pour certaines le passeport pour être grande ! ou la liberté comme pour les femmes des années 60.
Il s’agit là de prendre un comprimé chaque jour, régulièrement dans une continuité majeure. Aussi, compte tenu des oublis de pilule, des ratés de la contraception orale chez les adolescentes, nombre de professionnels estiment que le passage à la pilule peut s’effectuer sans trop de ratages quand une relation amoureuse se stabilise et que le jeune couple a des rapports sexuels fréquents. Il est certain que si les adolescents ne se voient qu’aux vacances scolaires et encore, la prise de contraception orale sera anarchique, des oublis se multiplieront, assortis de saignements qui dérangeront beaucoup la jeune fille. 
Qu’en est-il ensuite d’une prise de pilule régulière à l’âge adulte ? Il me semble que dans un souci préventif quant au futur contracepté , il est bon de ne pas se précipiter sur une prescription de pilule sous prétexte que telle est la demande.
 
IV - Les freins à la mise en place d’une contraception chez l’adolescente sont de plusieurs ordres.
1- Liés à la puberté elle-même. Cf le rapport au corps ; se connaître et se reconnaître. 
Cf- Les préliminaires ( II B)
- Régine C- ou la mise en actes d’un secret paternel et d’une crainte inconsciente de la mère .
Régine C a 14 ans quand elle consulte sa généraliste pour un certificat d’aptitude aux sports ; sa mère est dans la salle d’attente avec son fils de 8 ans qui vient d’avoir le même examen. La généraliste sort affolée du cabinet pour interpeller Mme C à qui elle annonce peu après que sa fille est enceinte de...4 mois.
’’Tout s’est écroulé’’ dira la mère quand je la reçois avec sa fille mutique pour comprendre ce qu’il se passe...pour mettre en mots, en pensées un tel choc. Régine ne peut, ne veut rien en dire si ce n’est qu’elle a été très amoureuse d’un voisin de son âge qui est retourné en Guadeloupe. Elle a eu des relations très proches avec lui mais n’a jamais eu de vrais rapports sexuels et puis c’est arrivé qu’une seule fois juste avant son départ pour la Guadeloupe. Elle ne comprend pas qu’elle puisse être enceinte, ce n’est pas dans ses préoccupations.
Par contre quand je reçois la mère seule, après un moment défensif, elle soupire en me disant qu’elle sort à peine d’une année très difficile pendant laquelle elle a été soignée pour un cancer du sein. Elle pensait qu’elle ne connaîtrait jamais ses petits-enfants...Elle s’arrête pétrifiée, se demande ce que sa fille en a su de cette pensée qu’elle n’a jamais formulée... Comme si Régine en avait perçu quelques traces et qu’elle avait mis en actes le ’’souhait’’ inconscient maternel. Madame C me dit que son mari ne le saura que le jour de la naissance car sinon il serait fou de rage. Elle associe sur le fait que du côté paternel, il y a un secret de famille autour de ses deux petites soeurs qui ont eu chacune un bébé alors qu’elles n’avaient que quinze et seize ans...Au cours de cette grossesse, tout le travail a été de donner à ces deux générations ,un espace contenant pour supporter la part excitatoire qui naissait de la sexualité de Régine et de rendre une possibilité de fantasmatisation à chacun. Au début, la jeune fille ne voulait pas de cette grossesse puis de l’enfant à naître mais le désir de sa mère mis en actes au travers du corps de sa fille fut vainqueur sur cette adolescente dépassée par les bénéfices secondaires de sa mère. le petit garçon est né au moment des vacances scolaires de Noël et Régine a repris le chemin du collège en Janvier...
2- Liés à l’histoire de la jeune fille, à l’histoire familiale.  
Cf - Pauline P - Notion de passage à l’acte. Un temps pour la puberté, un temps pour la sexualité.
Jeune fille de 13 ans amenée par sa mère qui, compte tenu de son histoire sexuelle à elle, veut que sa fille, sitôt les premières règles arrivées, prenne la pilule ...Elle part en colonie de vacances. 
La jeune fille regarde dehors, joue avec ses lacets . Elle est ailleurs ou plutôt, écoute le cours de flûte qu’elle entend, venant de son collège mitoyen du CPEF  . Elle n’est pas concernée pas les craintes de sa mère qu’elle ne comprend pas. Elle me dira, quand je la reçois seule, que c’est comme si sa mère parlait une langue étrangère mais elle est inquiète par l’inquiétude de sa mère...
 
V - Freins liés aux professionnels
La génération avant pilule : ces professionnels ne jurent que par la pilule, leur conquête.
La génération pilule : c’est comme ça et c’est la meilleure ; ils ont commencé leur vie sexuelle avec et avant l’arrivée du VIH.
La génération préservatif : le SIDA existe, les chlamydiae aussi : la seule solution contraceptive est la capote et jusque dans les ministères, on a vu les militants de la pilule contre les militants du préservatif...
Comment après, écouter les défenses, les résistances, les envies des garçons et des filles que l’on reçoit ?
Que laisse-t-on filtrer de notre histoire personnelle,professionnelle, de notre rapport à la contraception, à la sexualité ?
Ne doit-on pas évaluer en continu notre propre transfert et contre-transfert c’est-à-dire ce qui se passe dans la rencontre singulière avec un sujet qui fait une demande de contraception ou qui revient pour une énième demande d’IVG   pour des incapacités à mettre en place la contraception adéquate à son mode de vie du moment.
Par la prise de risques et ...la fécondation , l’inconscient émerge. Il vient interroger la psyché par ce passage à l’acte qui fait irruption. Oubli de pilule, pas de préservatif ou pas pour ce rapport sexuel-là, etc...’’c’est un accident’’, entend-on. 
Les partisans du double dutch : pilule/préservatif : double sécurité mais pour qui ? Pour des adolescents qui ne voient leur amoureux que trois fois par an parfois, pour des jeunes qui ont à peine un rapport sexuel par trimestre. Force est de constater que la pilule sera oubliée souvent alors que le préservatif qu’ont filles et garçons et à chaque rapport, et la connaissance de la contraception d’urgence, voilà sans doute la première contraception adaptée .
Commencer une prise de pilule en l’oubliant, n’est-ce pas dommageable pour la suite de la vie contraceptive ?
Et quand la jeune fille en aura vraiment besoin pour une vie sexuelle et affective plus régulière, comment seront inscrits ces premiers oublis, cette prise anarchique ?..
 
Conclusion
Au travers ces contraceptions difficiles, on entend donc l’histoire familiale et transgénérationnelle , histoire culturelle, religieuse, sociale. Secrets familiaux, non-dits, oublis, autant de critères à interroger. Autant d’écrans, de prismes au travers desquels il est utile de regarder dans un but préventif afin d’essayer d’éviter quelques loupés de la contraception.
Loin de croire à une maîtrise absolue de la fécondité, le binôme médecin/psychologue ou médecin/Conseillère conjugale et familiale, éclairé aussi par l’infirmière, l’acceuillante, permet une écoute et des appréciations quant à l’acception, le désir d’une contraception de la population que nous recevons en Centre de Planification et d’Education Familiale (CPEF  ).
Il en va de la prise en compte globale du couple,des parents, de la famille qui fréquentent les centres de CPEF   inclus dans des centres de Protection Maternelle et Infantile . 
 

Freins psychologiques à la mise en place d’une contraception chez l’adolescent Florence Baruch