Association Nationale des Centres d'IVG et de Contraception

Presse


Hommage à Annie BUREAU qui nous a quitté le 17 septembre 2014

Annie

C’est au nom de tes ami(e) s de l’ANCIC, ceux qui ont pu venir, mais aussi des plus nombreux qui n’ont pas pu se libérer, que je viens dire combien tu as été soutenante et inspirante pour nous tous. Des témoignages écrits seront remis à Manu et Julien qui disent l’admiration pour la grande dame et l’affection pour la sœur de tous les combats. Même malade, la justesse de tes interventions et surtout ton incroyable liberté de penser nous stupéfiaient. Dans le film « laissez les avorter tranquille » réalisé par Alima Arouali et François Bernard, sur les luttes féministes, ta courte intervention tellement simple, juste et avant-gardiste est jubilatoire. Ton travail au sein de nos commissions a été déterminant pour l’IVG   médicamenteuse en général et plus particulièrement pour l’avortement à la maison et l’élaboration du CD rom fut décisive pour la diffusion de la méthode sous anesthésie locale. C’est à ton domicile autour d’un repas festif que la commission : « centre autonome des Bluets » s’est tenue pendant des années. C’est là, pour la première fois, que nous avons penser, construit le projet de ce centre, localisé sur le site de l’ancienne maternité, qui était de sortir l’avortement de l’hôpital. Par petites touches timides, nous assistons aujourd’hui à des sorties d’actes génésiques des institutions, confirmant la justesse de ce projet précurseur.

C’est lors du congrès de Vannes il y a 4 ans que l’ANCIC a décidé de te rendre un hommage. Connaissant ta très faible affinité pour « l’effet de surprise » et par contre ton goût pour le contrôle et le travail d’élaboration, je t’ai alors proposé de me confier l’image de toi que tu voulais partager avec nous. Le texte qui suit, même si je l’ai écrit est largement sous influence d’Annie et, j’en suis sûre, correspond à ce qu’elle voulait donner d’elle.

C’est lors de deux belles après-midi d’été que tu m’as raconté ta famille, tes amours, tes engagements.
Annie est née dans un milieu bourgeois cultivé, plutôt traditionnel, bref rien du creuset rêvé pour permettre l’éclosion d’une militante féministe. Mais justement, même si son adolescence a été un moment d’opposition frontale à toutes les formes d’autorité, une partie de ses transmissions familiales se retrouvent dans les valeurs qui la fonde, parce qu’elles parlent d’humanité et donc d’universalité. Je pense à son attachement à la culture, à l’engagement, au courage, valeurs qui dépassent largement le milieu social qui les a promus.
Si le grand-père paternel d’Annie était instituteur,son grand-père maternel était un aristocrate de la vallée de la Loire, amoureux de la langue française.
Dans la famille d’Annie les hommes bénéficiaient d’une véritable éducation, tandis que les femmes restaient illettrées, comme c’était alors souvent le cas.
C’est à la génération de sa mère que s’opéra la rupture : sa mère étudia en Angleterre dans une pension tenue par des soeurs, et y acquit le savoir qui lui permit d’être l’institutrice, dès leur petite enfance, d’Annie et de sa soeur. Elle leur apprit donc l’anglais, l’amour de la littérature et à broder à la perfection ! Seul l’enseignement du piano était assuré par un professeur venu de l’extérieur. Bien que la petite enfance d’Annie se soit passée pendant la guerre à Paris, non sans difficultés d’approvisionnement, elle en garde le souvenir d’une époque heureuse entre des parents qui s’aimaient.

Le père d’Annie était ingénieur commis de l’Etat, et donc appelé à de nombreux déplacements partout en France. C’est à Brive-la- Gaillarde qu’elle entre à l’école primaire. Annie parle de cette ouverture sociale comme d’un éblouissement. Le fameux marché de Brive reste aussi bien sûr dans son souvenir comme un premier éveil des sens. La truculence des hommes, mêlée à l’explosion des odeurs, en fait un moment initiateur. Mais Annie grandit et c’est à Grenoble qu’elle entre en quatrième au lycée.

Alors adolescente, elle se révolte contre tous les abus d’autorité. Elle organise des chahuts au catéchisme, passe en conseil de discipline pour port de pantalons et usage de rouge à lèvres, et fait sentir à ses parents le fait qu’ils sont « du mauvais côté. » La guerre d’Algérie la sollicite et la voilà occupée à refaire le monde !
Cependant à Grenoble elle étudie le latin et le grec, passe son bac philo et fait beaucoup de ski. Sa mère, femme au foyer, lui conseille de devenir avocate. Annie décide donc, en fille docile, de faire médecine, profession qui lui semble plus dévouée à l’humanité, et qui restait à l’époque un métier d’homme. Annie a été très heureuse dans sa vie de gynécologue et, à l’exception du métier d’enseignante, pour lequel elle avait une véritable attirance, elle n’a jamais regretté son choix. Elle fait son PCB à Grenoble et entre en deuxième année à Paris où elle vit à l’hôtel les six premier mois. À Paris, elle découvre le théâtre, le cinéma, les débats animés sur les grandes idées humanistes et politiques. Pour ce qui est de ses amours, Annie passe ainsi de la médecine, avec son mari psychiatre Dominique Bureau, aux feux de la rampe avec Pascal, opérateur de cinéma, avec lequel elle vit sept ans. Sa fille Manue et son fils vont également préférer le milieu du spectacle pour le choix de leurs professions.
Comme beaucoup d’entre nous, c’est la réa qui a été le choc pour l’étudiante en médecine qu’elle était, et cette expérience est à l’évidence à l’origine de ses engagements. Joëlle Brunerie et René Friedman ayant trouvé son nom parmi les médecins signataires du Manifeste des Praticiens de l’Avortement, la contactent pour la former. Après avoir assisté au premier avortement par aspiration de Karman, Annie est immédiatement séduite par l’élégance du geste et sa simplicité. Quel chemin parcouru depuis la pose de la sonde, avec ses jours d’attente et d’angoisse, et le curetage sans anesthésie... Cette première aspiration sera pour Annie une révélation. Elle sut de suite que ce geste était révolutionnaire pour la vie des femmes.
Dès lors, trois fois par semaine, en sortant de son cabinet le soir, Annie pratique des avortements.

Rapidement le MLAC, dynamisé par l’ensemble des femmes mobilisées venues de la société civile, absorbe les associations et monte en puissance. C’est donc au MLAC du 14ième arrondissement de Paris qu’Annie pratique des aspirations avec des femmes non-médecins. Elle parle de l’éblouissement pour l’être humain qu’elle était, de pouvoir vivre ces moments de solidarité : joie de travailler avec des gens qui partagent les mêmes idées, et savoir qu’en cas de dénonciation, il y a derrière vous un monde de femmes rassemblées et déterminées à vous soutenir. Bien sûr, cette certitude n’empêchait pas d’avoir peur, mais d’une peur exaltante qui donne le sentiment de faire partie d’un monde de héros anonymes.

C’était la découverte de ce qu’est agir ensemble, de la puissance de fédération que peut donner la lutte.
Mais ce n’était pas la première fois qu’elle partageait ce qu’elle savait avec des femmes. Pour elle, médecin aux Bluets, la polyclinique des métallurgistes, la préparation à l’accouchement avait été le premier mouvement qui avait su initier le partage des savoirs avec les femmes, puis, plus tard, avec les couples. Annie pense que c’est « l’accouchement sans douleur » qui a préparé la défense de « l’avortement ». Si on pouvait considérer la femme qui accouche dans sa dimension humaine, alors cette même femme pouvait sans doute avorter.
Elle sera auditionnée, en tant que médecin du planning familial  , à la commission parlementaire qui rédige la loi Veil, et cette entrée dans l’hémicycle sera pour elle, « petit médecin de banlieue » comme elle se nomme elle-même, un moment émouvant.

Elle quitte les Bluets en 1980, suite à un procès qu’elle gagne contre la CGT, pour rejoindre l’équipe de Broussais dirigée par Elisabeth Aubeny.

En 1974 elle va à Rome, invitée avec Jeanne Weiss par le Parti Radical Italien. Les femmes viennent d’y obtenir le droit au divorce, et y commencent leur combat pour le droit à l’avortement.

L’ANCIC est créé en 1979, sa première présidente sera un médecin d’Annecy. Annie sera présidente de notre association pendant dix ans.

Sur le plan juridique, sauf pour notre premier procès, le procès Roubault, où nous serons du côté du prévenu, nous défendons la loi. Notre avocate et amie Odile Davernas, après avoir gagné l’ensemble des procédures, dira : « nous avons bétonné la loi Veil ! »
Annie parle de ses dix années de présidence comme d’un temps d’expériences riches et de satisfactions.
Elle est ensuite trésorière de l’association et obtient à ce titre tous les ans les subventions nécessaires à son fonctionnement.

Si le MLAC a introduit l’aspiration comme méthode d’avortement, c’est l’ANCIC qui a fait lâcher les curettes, qui pousse au perfectionnement des techniques et promeut l’avortement médicamenteux.
Dès la découverte de la molécule nécessaire par le professeur Etienne Beaulieu, Annie pressent que ce mode d’IVG   est de nouveau révolutionnaire pour les femmes, et leur ouvre un autre espace de liberté.
Au début les réticences sont grandes, en France comme à l’étranger. Au Québec, en Allemagne ou en Espagne, il faudra expliquer l’importance du produit pour les femmes et son innocuité afin qu’elles surmontent leurs préjugés pseudo- écologistes.
Annie au moment où je l’ai interrogée, avait quitté le monde du travail. Elle était libre de réfléchir davantage à la signification de l’avortement que lorsqu’elle était dans l’action.

Elle me dit ses souhaits :
1- Laisser les femmes avorter en paix.
2- Cesser de nous rebattre les oreilles avec la contraception dès qu’il est question d’avortement
3- Comprendre que le foetus dépend du projet parental et non de ceux des Etats ou des Eglises.
4- Contribuer, en tant que praticiens de l’avortement, à alléger le contrôle social exercé sur ce projet parental.
5- Comprendre qu’aucune femme n’aime avorter, qu’avorter c’est choisir le foetus qui doit vivre.
6- Savoir que l’avortement est l’un des éléments moteurs de l’affirmation de la vie.

Pour tout cela, pour l’énergie, le travail et l’intelligence assumées avec tant de hauteur, pour cette vivacité et cette vigilance qui nous ont permis à tous de voir mieux, plus vite, plus clair, de tout coeur : merci, Annie !

Je rajouterai juste une chose plus personnelle, c’est que je viens de perdre l’être le plus élégant que la vie m’ait donnée de rencontrer.

Chantal Birman
le 25 septembre 2014 à Paris

Hommage à Annie Bureau texte de Chantal Birman