La conquête de la libre maternité
I - Histoire de la légalisation de la contraception et de l’avortement en France
Dès le début du 19ème siècle, les Français restreignent volontairement leur descendance : la surmortalité infantile liée à la surfécondité n’est plus acceptable ; la place de l’enfant dans la famille et dans la société change, l’enfant à naître n’est plus une contrainte mais un désir et il s’établit de nouvelles relations entre les couples.
Mais l’article 317 du code pénal édicté en 1810 entérine un interdit sur l’avortement. A partir de 1890 vont s’affronter les néo-malthusiens et les natalistes ; les premiers sont fortement marqués par le courant anarcho-syndicaliste et libertaire, les seconds sont Conservateurs et Catholiques. A l’arrivée de la Première Guerre Mondiale la propagande anti-nataliste est considérée comme une trahison, la maternité est considérée comme un enjeu politique et la répression peut s’engager : la loi de 1920 sera votée par la Chambre "Bleu Horizon".
Cette loi a soulevé peu d’opposition : la gauche était empêtrée dans un moralisme identique à celui de la droite, les féministes préoccupées par la lutte des droits civiques étaient en mal de respectabilité, certains mouvements ouvriers craignant de perdre l’avantage du nombre ; en fait régnait la grande peur de l’émancipation des femmes à travers la maîtrise de la procréation.
II - L’évolution des idées dans les pays anglo-saxons
C’est au Royaume-Uni et aux Etats-Unis que va émerger la notion de "Birth Control" et que le débat va perdre son contenu politique et se porter sur la liberté de choisir.
En 1914, Margareth SANGER crée la "Birth Control League" et Mary STOPES ouvre une "Mother clinic" : ce sont des féministes, pour ces mouvements d’idées, la contraception est nécessaire à l’équilibre des familles et à la lutte contre les avortements provoqués.
En 1930, l’Eglise Anglicane admet l’usage des contraceptifs dans le cadre du mariage, et au Royaume-Uni l’enseignement des méthodes anticonceptionnelles est autorisé dans les écoles.
III - Repères chronologiques
Loi de 1920 : elle réprime la complicité et la provocation à l’avortement ainsi que toute propagande anticonceptionnelle, mais laisse en vente libre les préservatifs ; elle sera renforcée par trois lois en 1923, 1941 et 1942 qui aggravent considérablement les peines.
1930, le Pape Pie XI condamne l’usage des contraceptifs même dans le cadre du mariage.
1952, Création à Londres de "The International Planned Parenthood Federation" (IPPF).
1956, création en France du mouvement "Maternité heureuse", puis en 1960 du Mouvement Français pour le Planning Familial .
1962, le Conseil de l’Ordre des Médecins déclare : " Le médecin n’a aucun rôle à jouer dans et aucune responsabilité à assumer dans l’appréciation des moyens anticonceptionnels ".
1967, la loi Neuwirth suspend l’article 3 de la loi de 1920 qui portait sur l’interdiction de la diffusion de la contraception.
1968, Déclaration des Droits de l’Homme des Nations-Unies : " Les couples ont un droit fondamental de décider librement et en toute responsabilité du nombre d’enfants qu’ils veulent avoir et du moment de leur naissance ".
1970, création de l’Association opposée à l’avortement : "Laissez-les vivre".
1970-1974, la lutte pour la libération de l’avortement.
1974, loi Veil provisoire.
1979, loi Veil-Pelletier définitive et loi sur la contraception plus libérale.
1982, remboursement de l’IVG sous le ministère Roudy et circulaire sur "l’obligation hospitalière" et la mise en place des CIVG.
1988, mise sur le marché du RU - 486, la polémique sur la "banalisation de l’avortement" resurgit.
1990, résurgence des mouvements anti-avortement et plus de 100 Centres d’IVG sont attaqués par des commandos.
1993, loi Neiertz réprimant "l’entrave à l’IVG " et permettant aux associations de se porter partie civile en cas d’envahissement des CIVG.
1995, Madame Veil établit un statut de contractuel pour les médecins pratiquant l’IVG .
2000, campagne contraception, décidée au Ministère des Affaires sociales, commercialisation de la contraception d’urgence et décret de Madame Royale sur sa distribution dans les établissements scolaires.
IV - L’évolution des mœurs, des techniques et des lois
Les Mœurs
Avec l’accès à l’éducation et au travail non réduit au subalterne, la place des femmes dans la société est bouleversée, la place de l’enfant et la relation homme/femme de même.
L’élévation du niveau de vie a fait changer la notion de santé publique : alors que les mesures sanitaires étaient jusque là répressives et défensives contre le danger représenté par les classes laborieuses va émerger la notion de bien-être individuel et une définition humaniste et globale de la santé.
La mort et la maladie reculant, la souffrance et la mort des femmes qui avortent deviennent intolérables.
La libération du sexe des adultes majeurs va précéder celle des adolescents et l’émergence de l’égalité, de la responsabilité et de l’indépendance des femmes va permettre un discours libérateur sur le sexe et le plaisir ; nous en avons été, nous féministes les messagers des années 70.
Dans les années 80, l’apparition d’une maladie sexuellement transmissible mortelle, le SIDA va déstabiliser les responsables de l’information et de la distribution de la contraception et rendre la parole à ceux qui menacent les fornicateurs de foudres célestes. Très mal à l’aise, les médecins et les responsables de la santé publique vont tenter un message préventif double avec la promotion du préservatif ; mais la déception viendra de l’efficacité relative du préservatif en tant que moyen contraceptif et de l’échec partiel des campagnes de prévention des MST. La campagne de contraception prévue en 1992 fut un lamentable fiasco et le SIDA ne pourra reculer que par un traitement médicamenteux.
Dans un même temps apparaît un idéal de consommation et la recherche du plaisir immédiat et l’enfant expression d’un désir devient un enfant objet.
Les femmes réclament une contraception sans contrainte qu’elle soit ou non adaptée à une vie sexuelle régulière ou épisodique.
Les Techniques
Sans évolution des techniques pas d’évolution des mœurs : l’apparition des antibiotiques a précédé la légalisation de l’avortement pour en faire baisser la mortalité de façon spectaculaire.
En 2000, l’évolution des techniques devrait permettre une liberté et une responsabilité réelle pour les femmes
L’avortement par aspiration, l’anesthésie locale, les dilatations médicamenteuses ont supprimé les risques de l’IVG et diminué ceux de l’avortement thérapeutique.
L’avortement par médicament supprime toute agression chirurgicale, ce qui est une tendance généralisée dans la pratique médicale ; son usage pourrait rendre l’IVG totalement privée et libérerait les femmes du contrôle social et institutionnel.
En effet, les craintes et les angoisses des femmes dramatiquement augmentées par les mesures d’interdictions sont maintenant revenues à la mesure des événements parfois difficiles mais passagers de la vie. L’accompagnement de la femme dans les CIVG ayant perdu son caractère obligatoire pourrait reprendre son sens compassionel et libérateur. Mais l’opposition est forte, plutôt sous forme de désintérêt et de rigidité dans la pratique médicale ; liberté aux femmes, car l’avortement à la maison est un moyen de mettre en échec les contrôleurs de ventre bien ou mal intentionnés.
L’IVG répond toujours à un besoin, car les couples qui utilisent des contraceptifs n’en acceptent pas les échecs.
La contraception devient scientifique et bien tolérée, mais toujours sous contrôle médical, rapidement les couples vont la considérer comme une contrainte et non une libération. Quant au préservatif, il apparaît comme donnant de nouveau à l’homme l’initiative d’éviter la grossesse quand il ne suscite pas tout simplement un rejet.
Est-ce que parce que la contraception d’urgence répond au besoin d’une méthode immédiate et non contraignante que celle-ci, tenue sous le boisseau pendant 20 ans s’est imposée ? Il me semble qu’est apparue une pression sociale, dans une société où prévaut l’objet de consommation ; à nous d’être vigilantes pour que s’établisse une utilisation adéquate.
L’évolution des lois
Vous en connaissez toutes les étapes : La liberté conquise (I.V.G.) mais contrôlée (IVG médicamenteuse toujours à l’hôpital), la liberté octroyée (contraception) voir imposée, la liberté bridée (droit des mineurs à décider de l’avortement toujours refusé, contraception d’urgence) ; le plus bel exemple est la façon dont une mesure aussi audacieuse que celle de la distribution de la contraception d’urgence dans les établissements scolaires est dévoyée par des consignes restrictives concernant les mineures, qui ne peuvent que laisser les responsables non-médecins dans la perplexité et le désarroi.
La société continue à se méfier de l’autonomie des femmes : depuis 1967, la loi Neuwirth, on entend : "elles vont faire n’importe quoi", et à chaque étape du progrès de la maîtrise des femmes sur leur corps, revient cette expression traduisant le mépris et le manque de confiance : ont-elles fait n’importe quoi depuis 1967 ? Elles consultent régulièrement le médecin quand elles en ont les moyens, qu’elles prennent une contraception ou pas ; l’avortement, ultime recours, n’a pas remplacé la contraception ; elles se plient sagement à l’hospitalisation obligatoire pour avorter par médicament et reviennent majoritairement à leur visite de contrôle si on leur en explique l’intérêt. Où sont l’irresponsabilité et la négligence ?
La pratique médicale montre que, à l’évidence, les jeunes femmes sont plus soucieuses de leur santé que les jeunes hommes.
Quelles perspectives ? Faut-il adhérer à une coutume de facilité et d’irresponsabilité ? L’enfant objet de désir devient objet de consommation (droit à l’enfant) et la pression sociale est suffisamment forte pour que les 25-35 ans placent la maternité comme objectif prioritaire dans leur vie : est-ce véritablement une évolution positive ?
Il n’y a pas de responsabilité sans liberté mais en matière de droit des femmes, la société continue à reprendre d’une main ce qui a été donné ou conquis de l’autre.
BIBLIOGAPHIE
Toutes les références historiques ont été prises dans l’article du Dr HASSOUN Danielle : Histoire de la légalisation de la contraception et de l’avortement en France. L’interruption de grossesse depuis la loi Veil. , Paris, Médecine-Sciences, Flammarion, 1997.