Lettre ouverte à Mme la Première ministre 19/12/23
Madame la Première ministre,
L’Association Nationale des Centres d’Interruption de grossesse et de Contraception, association de professionnels de l’IVG créée en 1979, veille depuis le vote définitif de la loi Veil à défendre les droits des femmes à disposer de leur corps et ceux des professionnels de l’IVG dans leur exercice.
Après avoir salué le vote, en mars 2022, de la loi Gaillot visant à renforcer le droit à l’avortement, impatients de la sortie du décret d’application qui étend la compétence de la pratique des IVG par méthode instrumentale aux sages-femmes en établissement de santé, nous sommes aujourd’hui sidérés par l’article D.2212-8-1 de ce décret.
Pour qu’une sage-femme puisse pratiquer une IVG instrumentale, cet article impose en effet que trois médecins soient disponibles sur site, et qu’un quatrième le soit sur site ou à distance.
Jamais la parution d’aucune loi ni d’aucun décret depuis 1979 n’avait autant inquiété les professionnels que nous sommes. L’article D.2212-8-1 constitue un danger pour l’accès à l’IVG instrumentale pour les femmes, et une discrimination forte d’une profession médicale, celle de sage-femme, vis-à-vis d’une autre, celle de médecin.
L’ANCIC, mais aussi d’autres associations et sociétés savantes telles que l’ANSFO et le CNGOF, ont été sollicitées pour une relecture du projet de décret. Une réunion le 30 novembre 2023 rassemblant de nombreux représentants des professionnels de l’IVG avait permis de conclure, à l’unanimité des professionnels de santé réunis, que la pratique de l’IVG instrumentale par les sages-femmes ne devait pas comporter de limite de terme autre que la limite imposée par la loi. La conclusion de cette concertation était que la capacité à faire des IVG instrumentales ne résidait pas dans la différence entre ces deux professions médicales, mais dans la formation de tous les professionnels pratiquant ces gestes.
Alors que ni le médecin réanimateur ni le médecin embolisateur ne sont obligatoires sur site pour un accouchement dans les maternités ne réalisant pas plus de 1500 accouchements par an, l’article D.2212-8-1 impose la disponibilité de quatre médecins, sur site ou à distance, aux côtés d’une sage-femme, pour pratiquer une IVG instrumentale. Rappelons que les complications lors d’un accouchement sont incomparablement plus nombreuses que lors d’une IVG .
Les médecins des centres de santé peuvent pratiquer des IVG instrumentales sous anesthésie locale alors qu’aucun gynécologue obstétricien, médecin réanimateur ou embolisateur n’est présent sur place. Savez-vous combien d’établissements de santé réalisent aujourd’hui des IVG instrumentales sans qu’aucune convention avec un embolisateur ne soit signée ? Les cliniques hollandaises ou anglaises dans lesquelles les femmes avortent jusqu’à 22 voire 24 semaines d’aménorrhée, y compris les femmes françaises ayant dépassé le délai légal d’IVG en France, n’ont pas non plus d’embolisateur dans leurs murs ou en convention.
Quelle littérature médicale française ou internationale justifie de telles précautions pour la pratique de l’IVG instrumentale ? Maintenir l’article D.2212-8-1 aura pour effet de freiner l’accès à l’IVG instrumentale pour les femmes et de les inquiéter d’avoir recours à une sage-femme pour cet acte.
L’expérimentation menée en 2023 a pourtant permis de rassurer sur les compétences acquises par les sages-femmes formées à l’IVG instrumentale, et sur la sécurité avec laquelle elles ont pris en soin pour une IVG instrumentale plus de 500 femmes sans complication, sans recours ni à un médecin anesthésiste-réanimateur ni à un médecin embolisateur !
La pratique de l’IVG instrumentale par des sages-femmes ne devait-elle pas fluidifier l’accès à l’IVG instrumentale pour les femmes et contribuer à diminuer les inégalités territoriales d’accès à l’IVG ?
Madame la Première ministre, toute la profession médicale impliquée dans l’accès à l’IVG est aujourd’hui menacée dans son exercice et attend qu’un nouveau décret vienne annuler les menaces que celui-ci fait porter sur elle et sur la santé des femmes.
Signataires :
Le bureau de l’ANCIC
Laurence Danjou, gynécologue médical Coprésidente de l’ANCIC ; Chrystel Mathurin Bornat, infirmière centre d’orthogénie Hôpital Bicêtre Coprésidente de l’ANCIC ; Nathalie Trignol Viguier, médecin généraliste Responsable de l’unité d’orthogénie du CHU de Tours Coprésidente de l’ANCIC ; Michel Neny, médecin généraliste Centre d’orthogénie de Vierzon Trésorier de l’ANCIC ; Laurence Wittke, médecin généraliste Coordinatrice médicale au Planning Familial du Loiret Trésorière adjointe de l’ANCIC ; Mylène Druguet Responsable du centre d’orthogénie du centre hospitalier de Roanne Secrétaire adjointe de l’ANCIC ;
Autres signataires :
Isabelle Asselin, gynécologue médicale présidente ASSUREIPSS ; Chantal Birman, sage-femme ; Mélanie Boissinot, médecin généraliste, Tours ; Sylvie Denoël, gynécologue médical, Vannes ; Alain Domercq, médecin généraliste, Sainte-Marie (Réunion) ; Anne Dubreuil, médecin généraliste, Tours ; Loup Dupin, médecin généraliste CHU Tours ;Sophie Eyraud, médecin généraliste, Paris ; Philippe Faucher, gynécologue-obstétricien, Paris ; Sophie Gaudu, gynécologue-obstétricienne, Paris ; Delphine Giraud, sage-femme Coordinatrice Maison des femmes de l’Hôpital de la Pitié Salpétrière coprésidente de l’ANSFO ; Martine Hatchuel, gynécologue-obstétricienne, Paris : Valérie Ledour, médecin de santé sexuelle, Paris ; Emmanuelle Lhomme, Médecin généraliste, responsable du Centre d’IVG de l’Hôpital Cochin Port Royal ; Jean Claude Magnier, gynécologue médical ; Camille Mathieu, médecin généraliste, Tour ; Marie Razon, médecin généraliste, Paris ; Véronique Rieu, sage-femme Chu Tours ; Marie Sicot, gynécologue médical, Grenoble ; Claire Wolker-Jarfaut, sage-femme, coprésidente de l’ANSFO ;
La lettre a été publiée dans Le Monde.fr du 19 décembre 2023
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