Avortement, droit de choisir et santé colloque Prochoix Table ronde - Etat des lieux : Le point de vue de l’ANCIC.
Le SENAT
5 janvier 2001
Paul CESBRON
Vingt cinq ans après le vote de la loi légalisant la médicalisation de l’avortement volontaire, le bilan s’impose et permet d’avancer les propositions de transformations nécessaires.
I - EPIDEMIOLOGIE :
De nombreux observateurs ont souligné la persistance d’un taux apparemment élevé et considéré comme tel par ceux-ci de recours à l’avortement volontaire.
Compte-tenu du sous-enregistrement est des corrections apportées par l’Institut National d’Etudes Démographiques, le chiffre le plus habituellement retenu est situé autour de 220 000 avortements volontaires par an en France. Les variations au cours des 25 dernières années semblent peu significatives. Toutefois la structure démographique de la population s’est un peu modifiée permettant d’avancer un taux d’avortement par femme d’environ 0,5 alors qu’il était dans la période 1975-1980 situé aux alentours de 0,6 (I.N.E.D.). Ce taux est assez proche de ceux de la plupart des pays européens et inférieur à celui des Etats-Unis, seule se détache très nettement la Hollande dont le taux est inférieur à 0,3 avortement volontaire par femme.
A propos des adolescentes : de nombreux auteurs et intervenants divers sur le sujet ont souligné avec beaucoup d’insistance un taux considéré comme élevé de recours à l’avortement volontaire chez les adolescentes (mineures). Rappelons qu’il est en France très inférieur à celui des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne. Il est également 2 à 3 fois inférieur à celui des femmes majeures (entre 8 à 9 avortements pour 1000 adolescentes par an, entre 15 et 20 avortements pour 1000 femmes d’âge supérieur ou égal à 18 ans).
Durant cette période de 25 ans, le taux de conception par femme, toute catégorie comprise, a diminué, y compris chez les adolescentes, à l’exception de la tranche d’âge comprise entre 25 et 35 ans, correspondant à la période fertile de la vie de la femme, y compris chez les adolescentes. L’efficacité du dispositif de contraception en France et l’utilisation en particulier des contraceptions modernes n’a cessé de croître.
La modification la plus sensible observée au cours de cette période est liée au fait qu’une adolescente, lorsqu’elle est enceinte va aujourd’hui 2 fois sur 3 interrompre sa grossesse alors qu’elle ne l’interrompait qu’une fois sur 3 voilà 25 ans. Ce constat n’a évidemment rien de scandaleux et va plutôt dans le sens d’un accroissement de la responsabilité par rapport à l’éventualité d’un futur enfant.
Quant aux considérations générales sur le caractère excessif du recours à l’avortement volontaire, elles relèvent surtout de la méconnaissance du phénomène, mais également de la persistance d’une hostilité à l’égard de cette liberté. L’argumentation des uns et des autres sur la mauvaise application de la loi et l’absence de réelle politique de contraception, ne constitue en rien une démonstration. Il n’existe en effet aucune relation mécanique simple entre l’efficacité des moyens contraceptifs, y compris même leur accessibilité, et le recours à l’avortement volontaire. Comme le rappelle Chantal BLAYO de l’I.N.E.D., plus une contraception est efficace, plus l’information contraceptive est persuasive, moins les échecs de la contraception sont acceptés. Or, pour de multiples raisons, bien connues par ailleurs, les échecs, contre-indications ou refus de la contraception persistent. Au cours de ce quart de siècle, l’utilisation de la contraception moderne s’est largement étendue, tout particulièrement chez les adolescents, et rappelons que 85 % d’entre eux utilise un moyen de contraception (préservatifs masculins compris) dès le premier rapport. Ce seul chiffre constitue un excellent témoin des bouleversements culturels et comportementaux en cours. Déplorer ou dénoncer la situation des 15 % d’adolescents qui n’utilisent pas de contraception lors du premier rapport, est faire preuve d’une méconnaissance des conditions d’apprentissage de la vie sexuelle pour le moins surprenante.
II - LES CONDITIONS DE PRISE EN CHARGE AU COURS DE CETTE PERIODE DE L’AVORTEMENT VOLONTAIRE
Soulignons tout d’abord les contraintes administratives liées aux textes mêmes des lois de 1975 et de 1979 : cet encadrement médico-légal, s’il a pu apparaître comme une garantie de la qualité de la prise en charge médicale, n’en constitue pas moins aujourd’hui une source de difficultés pour bien des femme, et un véritable obstacle, pour les professionnels également. Pire, ces contraintes constituent parfois une facilitation, voire un encouragement aux résistances professionnelles à l’accomplissement d’un tel acte.
Outre le caractère obligatoirement hospitalier des avortements volontaires, nécessairement pratiqués par un médecin, obligatoirement précédés d’un entretien social imposé à la femme, quelle que soit par ailleurs la qualité du personnel d’accueil et d’écoute, obligatoirement autorisés par les parents chez les mineures, interdits chez les femmes n’ayant pas 3 mois de résidence en France, leur nombre ne doit pas dépasser 25 % des actes chirurgicaux en secteur privé. De telles dispositions ne sont assez souvent accompagnées que de faibles moyens, voire de l’absence de moyens destinés aux services hospitaliers pour accomplir dans les meilleures conditions cette activité.
L’absence ou la faiblesse de soutien financier et institutionnel apportée à la pratique de l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception précarise ces activités, les dévalorise et de ce fait les marginalise dans les services hospitaliers, alors qu’il est par ailleurs répété qu’elles relèvent de leur compétences et de leur fonctions.
Contraintes administratives, encadrement médico-légal limitatif et souvent pesant, dévalorisation et marginalisation aboutissent à une " quasi-maltraitance " des femmes dans certains services de gynéco-obstétrique, soulignée par l’auteur du rapport sur l’interruption volontaire de grossesse en France (Israël NISAND). Si cet irrespect est à loin près ni délibéré, ni généralisé, il n’en traduit pas moins le peu de soutien apporté à cette activité par les responsables du service public. Les résistances, voire l’hostilité du personnel médical, sont confortées dans de telles conditions. Pour être vraisemblablement plus proche de la réalité : insuffisance d’engagement du service public et résistance du personnel médical s’entretiennent réciproquement.
Au cours des 25 ans, l’attitude des médecins a-t-elle changée ?
Au début des années 1970, le rapport de Pierre SIMON avait très clairement montré que la partie la plus hostile de la population à la légalisation de l’avortement était constituée par les médecins eux-mêmes et parmi les médecins la spécialité la plus hostile constituée par les gynéco-obstétriciens. Les raisons culturelles en sont claires. Leur formation jusqu’en 1975 caractérise l’avortement volontaire comme un crime (cf. les ouvrages de l’époque et textes universitaires en référence d’ailleurs à la législation qui prévalait).
Au cours de la période qui vient de s’écouler, l’attitude du corps médical a incontestablement changé, la tenue des débats à l’Assemblée Nationale le reflétant clairement. Les sondages d’opinion l’illustrent, la majorité des médecins considère aujourd’hui que la légalisation de l’avortement est une nécessité, même si beaucoup d’entre eux reste hostile à son élargissement et surtout que la très grande majorité des spécialistes (gynéco-obstétriciens) considère cet acte sans intérêt sur le plan professionnel, " inintéressant, répétitif, fastidieux, démoralisant, ……… ".
Contrairement aux affirmations d’Israël NISAND dans son rapport sur l’interruption volontaire de grossesse en France, cet état d’esprit ne peut être modifié par une réglementation contraignante visant à rendre obligatoire dans tous les services de gynéco-obstétrique la pratique de l’interruption volontaire de grossesse. Toute contrainte administrative est plutôt facteur de résistance que de sympathie, volontariat et respect, ……
Durant ce quart de siècle, la gynécologie obstétrique a vu ses activités se multiplier, s’affiner, se compliquer. Diagnostic prénatal et procréation médicalement assistée occupent désormais un grand nombre de spécialistes. La périnatologie a acquis le statut d’une science et sa pratique professionnelle nécessite un engagement toujours plus étendu et complexe, confinant l’orthogénie dans une situation de marginalité en définitive peu compatible avec les préoccupations et les activités des services de gynéco-obstétrique.
Il ne s’agit là en rien d’une position de principe hostile à cette spécialité, mais simplement d’un constat généralisé, d’une réalité inavouée par beaucoup puisque remettant en cause une partie des fonctions qu’ils revendiquent eux-mêmes par ailleurs.
III - LES PROPOSITIONS DE TRANSFORMATION
A/ La contraception :
La nécessité d’améliorer l’accessibilité est quasi-générale, y compris chez les opposants à l’avortement volontaire, à l’exception d’une frange très réduite d’intégristes hostiles au principe même de la contraception moderne.
L’accessibilité repose :
sur le respect de la confidentialité pour les mineures (non-autorisation obligatoire pour les mineures, délivrance possible par tous les médecins, y compris en dehors des centres de planification)
la délivrance simple et gratuite de la contraception d’urgence, y compris par des non-médecins.
l’intérêt des campagnes de contraception systématiques, répétées, tout particulièrement en milieu scolaire, mais également dans les autres couches de la population, est souligné.
L’A.N.C.I.C. souligne la persistance de réels obstacles à la contraception :
Non-remboursement des pilules dites de 3ème génération. En constatant par ailleurs que celles-ci ne présentent aucun avantage démontré par rapport aux pilules de 2ème génération contrairement aux arguments très largement utilisés par les firmes pharmaceutiques et malheureusement repris par de nombreux professionnels. Les laboratoires n’hésitent pas à distribuer largement des échantillons qui constituent la première délivrance, en particulier chez les adolescentes dans les centres de planification. Le relais étant nécessairement, dans une telle situation, assuré par l’adolescente elle-même ou sa famille.
Un décret récent vient de fixer le prix de vente des stérilets à un niveau très inférieur au prix actuel du commerce, assurant par ailleurs son remboursement à 60 %. Cette mesure positive n’a pour l’instant entraîné aucune application pratique, les officines menaçant de refuser la vente de ces produits. Un fabricant a d’ores et déjà annoncé la cessation de la production de ses stérilets.
La dissociation des compétences département/état concernant d’une part la contraception et d’autre part l’interruption de grossesse constitue par elle-même un véritable frein à l’accessibilité de la contraception. Cette question n’a pour l’instant pas été envisagée dans les mesures proposées par le Gouvernement.
La persistance d’une médicalisation lourde de la contraception (contrairement à l’exemple de la Hollande dont l’efficacité semble très réelle) devrait faire l’objet d’une véritable analyse de la pratique et de propositions nouvelles quant à la délivrance des contraceptifs.
B/ L’interruption de grossesse :
La dépénalisation : l’A.N.C.I.C. rappelle sa position défendue depuis plus de 10 ans : l’avortement volontaire ne constitue pas un délit mais un choix, c’est-à-dire une liberté qui ne peut relever que de la seule décision de la femme.
La persistance de l’avortement dans le Code Pénal, y compris son maintien pour les cas où l’avortement serait pratiqué à l’insu ou contre la volonté de la femme, constitue une mesure discriminative à son égard. En effet, un avortement pratiqué contre la volonté de la femme relève de l’agression, voie de faits, violences par ailleurs condamné dans le Code Pénal et ne nécessitant pas un chapitre spécifique.
Les propositions gouvernementales constituent un progrès incontestable faisant passer la majorité des articles du Code Pénal concernant l’avortement dans le Code de Santé Publique (à l’exception du texte sur l’avortement pratiqué contre la volonté de la femme). Pourtant, il persiste, en particulier dans l’article 11 bis, la condamnation du médecin ou de la personne fournissant à la femme " les moyens matériels de pratiquer une interruption de grossesse sur elle-même " constitue, s’il est maintenu dans la future loi, un dispositif qui sera très vraisemblablement utilisé par les éléments hostiles à l’avortement volontaire pour faire condamner l’avortement médicamenteux pratiqué en dehors de l’hôpital (au domicile de la femme).
Elargissement à 14 semaines d’aménorrhée : progrès également important qui paraissait tout à fait inaccessible à de nombreux professionnels et politiques qui proclamaient par ailleurs leur accord avec cette revendication légitime. En effet, plusieurs milliers de femmes sont condamnés actuellement à faire pratiquer leur avortement en dehors des frontières du pays alors que la majorité d’entre elles connaissent des situations de détresse psychologique et sociale reconnues par tous.
Au-delà de 14 semaines, il restera environ 1 % des demandes d’interruption de grossesse qui ne trouveront pas de réponse en France si l’on ne définit pas dans les semaines qui viennent un cadre légal susceptible de répondre à ces demandes rares, mais le plus souvent graves.
L’A.N.C.I.C. considère que la solution à apporter à ce douloureux problème relève de la prise en charge hospitalière au même titre que les interruptions de grossesse pratiquées pour des indications considérées comme médicales (indications génétiques, chromosomiques, malformatives, ……). Toutefois, de telles demandes ne peuvent relever de l’arbitraire de l’expertise, mais bien d’une écoute attentive, d’un accompagnement respectueux et d’une information la plus adaptée à de telles circonstances. Une prise en charge de ce type nécessite un personnel expérimenté, qualifié et les moyens techniques propres à de telles interruptions (identiques à celles des interruptions médicales de grossesse).
La suppression des obligations administratives :
L’entretien social : suppression souhaitée par l’A.N.C.I.C. qui souligne par ailleurs l’obligation qui doit être faite à tous les centres de mettre en place des structures d’accueil, d’écoute et d’information permettant d’assurer aux femmes le respect et l’attention qui leur est due.
Le personnel spécifique à l’accueil, l’écoute et l’accompagnement constituant par ailleurs un médiateur nécessaire entre la femme et le médecin qui va pratiquer l’interruption de grossesse.
La suppression de l’obligation de résidence s’imposait.
Quant à la suppression de l’autorisation parentale, il s’agit pour l’A.N.C.I.C. d’un progrès tant le respect de l’intimité de la mineure, s’impose. Celui-ci n’est en rien contradictoire avec l’échange, le dialogue possible avec les parents.
La notion d’adulte référent devra être précisée dans les textes d’application pour éviter le harcèlement dont pourrait être l’objet les professionnels et les mineures dans de telles circonstances par les groupes intégristes.
Reste un problème en suspens au regard de la pratique de l’A.N.C.I.C. : les structures d’orthogénie. Comme il a été précisé, les services de gynécologie-obstétrique n’ont le plus souvent ni les capacités, ni la culture pour assurer cette activité. L’A.N.C.I.C. ne propose pas un modèle de structure exclusif et s’oppose par voie de conséquence aux propositions qui sont faites d’intégrer obligatoirement et systématiquement l’orthogénie dans le cadre des services de gynécologie-obstétrique.
Ces unités fonctionnelles ou centres autonomes, dont les liens conventionnés avec le service de gynécologie-obstétrique doivent être précisés et conditionnés par l’acceptation et les spécificités mêmes de ces services, peuvent dans certaines situations originale disparaître au profit d’une intégration complète dans la maternité. L’avortement est un temps possible, une étape parfois nécessaire de la vie de la majorité des femmes, il n’est ni un délit, ni un acte honteux, c’est un choix éminemment respectable, justifiant sympathie et respect. Le cadre juridique choisi doit permettre à un personnel volontaire d’assurer l’accueil des femmes demandant une interruption de grossesse dans les meilleures conditions. L’autonomie des centres garantit la pérennité de leur action et leur reconnaissance statutaire en est la condition.
Les années qui viennent, très marquées par de fortes restructurations hospitalières vont voir s’opposer ces deux conceptions et nécessiter de la part des associations défendant les droits à l’interruption de grossesse et à la contraception de défendre très fermement l’autonomie de ces unités hospitalières. Aujourd’hui, Grenoble est un exemple de cet affrontement entre ces deux conceptions et l’issue de cette bataille constituera incontestablement une orientation décisive pour l’avenir.